Parmi les instruments emblématiques des XVIIe et XVIIIe siècles, le luth baroque occupe une place unique. Avec son timbre chaud et son accord caractéristique en ré mineur, il a marqué l’histoire de la musique.
Cet instrument était particulièrement prisé dans les cours royales et l’aristocratie européenne. Sa structure à chœurs multiples et ses cordes en boyau lui confèrent une sonorité riche et nuancée.
Aujourd’hui, des interprètes comme Miguel Serdoura ou Thomas Dunford perpétuent cette tradition. Leur travail permet de redécouvrir les subtilités de la musique baroque.
Introduction au luth baroque : entre histoire et fascination
Symbole de raffinement, il captivait l’aristocratie européenne. Cet instrument, né d’une évolution du luth Renaissance, devint un emblème culturel aux XVIIe et XVIIIe siècles. Son usage s’étendait des cours princières aux salons littéraires, où il accompagnait poésies et discussions.
Définition et origines de l’instrument
Apparu à la fin du XVIe siècle, il se distingue par des modifications structurelles clés. L’ajout de chœurs multiples et l’utilisation de cordes en boyau enrichirent son timbre. Les traités comme le Burwell Lute Tutor en codifièrent la pratique.
Place dans la hiérarchie musicale baroque
Considéré comme un instrument noble, il surpassait souvent le clavecin en popularité. Les mécènes, tels Wilhelminia de Bayreuth, financèrent son développement. Comparé à la viole de gambe, il offrait une palette sonore plus versatile.
- Origines liées à la Renaissance, avec une évolution technique majeure.
- Statut privilégié dans les cercles aristocratiques et intellectuels.
- Rôle central dans l’art de la basse continue.
L’évolution du luth à travers les siècles
Son évolution technique reflète les changements culturels de l’époque. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, cet instrument a subi des transformations majeures, adaptant sa composition aux exigences musicales.

Du luth Renaissance au baroque : modifications clés
La caisse de résonance s’est élargie, et le manche allongé pour enrichir les basses. Vers 1730, l’ajout des 12e et 13e chœurs a permis une harmonie plus complexe.
L’accord en ré mineur s’est imposé pour son expressivité. Ces innovations ont fait de lui un pilier de la musique baroque.
L’influence des cours européennes sur son développement
Les commandes royales ont stimulé l’artisanat. En France et en Prusse, les luthiers comme Cezar Mateus créaient des pièces sur mesure.
- Impact des guerres : diffusion des techniques entre régions.
- Exemple du luth de 1994, encore utilisé par des virtuoses.
- Rôle des mécènes dans le perfectionnement des instruments.
Ces évolutions illustrent comment le service des cours a façonné son histoire. Aujourd’hui, ces détails techniques inspirent encore les interprètes.
Les particularités sonores du luth baroque
Les cordes en boyau et le bois sélectionné créent une signature acoustique inimitable. Cette combinaison offre un timbre à la fois chaud et précis, idéal pour les nuances de la musique baroque.
L’accord en ré mineur et ses connotations émotionnelles
L’accord en ré mineur domine le répertoire. Il apporte une mélancolie raffinée, souvent associée aux pièces funéraires. Les compositeurs exploitaient cette tonalité pour son expressivité profonde.
Le rôle des matériaux dans le timbre
Le bois d’érable et l’épicéa influencent directement la résonance. Les cordes en boyau, moins tendues que le métal, permettent des harmoniques subtiles. Ces choix techniques définissent un son organique et vivant.
- Le bois d’érable renforce les basses, tandis que l’épicéa affine les aigus.
- La tension des cordes module la dynamique et la durée des notes.
- Comparé au théorbe, le luth baroque offre une projection plus intime.
Construction et organologie : secrets de fabrication
Derrière chaque note se cache un travail artisanal minutieux. Les luths baroques, avec leurs 240 pièces de bois assemblées, représentent un défi technique. Leur structure raffinée allie acoustique et esthétique.

La structure unique avec chœurs multiples
Les chœurs supplémentaires enrichissent l’harmonie. Cezar Mateus, luthier renommé, crée des instruments équilibrés entre graves et aigus. Le bois vieillit 10 à 15 ans avant d’être travaillé.
Les frettes mobiles en boyau permettent un accord microtonal. Changer une corde cassée nécessite un démontage complet. Ces détails illustrent la complexité de la fabrication.
Comparaison entre luths français et italiens
Les modèles français se distinguent par leurs chevalets ajourés. Les italiens, plus massifs, offrent une projection sonore différente. Typique de l’époque, cette diversité reflète des philosophies musicales distinctes.
- Bois d’érable pour les basses, épicéa pour les aigus.
- Chevalets français : légèreté et précision.
- Chevalets italiens : puissance et résonance.
Les techniques de jeu spécifiques
Maîtriser cet instrument requiert une approche technique minutieuse, où chaque mouvement des doigts compte. Les interprètes modernes s’inspirent des traités historiques pour perfectionner leur jeu.

La posture et l’approche de la main droite
La stabilité vient du petit doigt posé sur la table d’harmonie. Cette technique, héritée de la Renaissance, permet un contrôle précis des cordes.
Hopkinson Smith souligne :
« L’art d’écouter guide chaque toucher. »
L’alternance pouce-index, empruntée à la guitare classique, crée un phrasé dynamique.
L’ornementation comme langage musical
Joachim Bernhard Hagen codifia 37 ornements dans son catalogue. Ces fioritures, comme les trilles ou mordants, définissent le style baroque.
Les silences jouent un rôle clé. Ils structurent la partition autant que les notes. Pour explorer ces techniques historiques, certains utilisent encore l’onglet métallique pour accentuer les basses.
- Position du poignet légèrement surélevée pour éviter la fatigue.
- Les phrasés respiratoires imitent le chant humain.
- Variations rythmiques selon les écoles régionales.
Le répertoire emblématique du luth baroque
La richesse du répertoire baroque révèle des trésors méconnus. Des suites majestueuses aux sonates intimistes, chaque pièce reflète l’âme d’une époque. Ce patrimoine musical continue d’inspirer les interprètes d’aujourd’hui.

Weiss, Bach et au-delà : œuvres majeures
Sylvius Leopold Weiss domine le paysage avec sa Suite en si mineur. Ses variations complexes exigent une maîtrise technique exceptionnelle. Bach, bien que moins prolifique pour cet instrument, a composé des partitas remarquables.
Thomas Dunford explique :
« Weiss transforme chaque note en un paysage émotionnel. »
Les compositeurs méconnus
Adam Falckenhagen et Joachim Bernhard Hagen méritent redécouverte. Leurs sonates, exigeant une virtuosité monstrueuse, sont rarement jouées. Un projet d’enregistrement des œuvres de Wolff Jakob Lauffensteiner est prévu pour 2024.
- Analyse des structures rythmiques chez Weiss.
- Redécouverte des pièces de Falckenhagen par Dunford.
- Collaborations entre musicologues pour reconstituer des tablatures perdues.
Ces compositeurs ont façonné un héritage musical unique. Leurs créations défient encore les interprètes modernes.
La tablature baroque : décrypter un système unique
Déchiffrer une tablature ancienne ressemble à résoudre une énigme historique. Ce système d’écriture musicale, typique des XVIIe et XVIIIe siècles, utilise des symboles alphabétiques plutôt que des notes. Un véritable art oublié qui renaît grâce aux recherches contemporaines.
Principes de notation et défis d’interprétation
Les tablures françaises emploient des lettres pour indiquer les positions des doigts. Contrairement aux partitions modernes, les durées des notes ne sont pas toujours précisées. Miguel Serdoura souligne :
« Chaque manuscrit cache ses propres règles implicites. »
Les couleurs originales ajoutent des nuances perdues dans les copies modernes. Les voix intermédiaires posent problème – leur rythme doit souvent être deviné. Un exemple frappant : le Musick’s Monument de 1676 utilise trois encres différentes.
Les traités historiques vs méthodes modernes
La méthode Serdoura (2008) révolutionne l’apprentissage. Elle adapte les traités anciens avec des explications claires pour notre temps. Les logiciels actuels recréent les signes de reprise autrefois manuscrits.
Quatre différences majeures :
- Les symboles alphabétiques remplacés par des diagrammes visuels
- L’ajout systématique des durées manquantes
- La standardisation des ornements
- L’intégration des variations dans la même partition
Cette évolution de l’écriture musicale permet aux interprètes modernes de gagner des mois de travail. Pourtant, certains puristes préfèrent la difficulté des sources originales.
Luth baroque vs théorbe : distinctions claires
Dans l’univers des instruments anciens, deux géants s’affrontent : le luth et le théorbe. Leurs différences vont bien au-delà de la taille, influençant leur rôle dans la musique baroque.
Différences structurelles et sonores
Le théorbe dépasse souvent 2 mètres, avec des cordes graves non frettées. Son cheviller double permet des accords rentrants, idéaux pour l’accompagnement.
Comparaison technique :
| Caractéristique | Luth baroque | Théorbe |
|---|---|---|
| Hauteur | ~75 cm | Jusqu’à 2 m |
| Cordes graves | Frettées | Libres |
| Usage | Mélodique | Basse continue |
| Problèmes | Précision des ornements | Casse des cordes |
L’archiluth offre un compromis, combinant la taille du luth et la tessiture du théorbe.
Usages distincts dans la basse continue
Dans les opéras comme L’Orfeo de Monteverdi, le théorbe domine les parties graves. Sa puissance soutient les voix sans étouffer l’ensemble.
Techniques spécifiques :
- Jeu en accords plaqués pour les récitatifs.
- Silences stratégiques pour équilibrer les harmonies.
- Adaptation des accordages selon le répertoire (sacré vs profane).
Ces instruments, bien que cousins, ont marqué l’histoire chacun à leur manière. Leur complémentarité enrichit encore les interprétations modernes.
L’interprétation contemporaine : défis et solutions
Comment jouer aujourd’hui un répertoire vieux de trois siècles ? Les musiciens modernes naviguent entre respect des sources et innovations techniques. Cette quête d’équilibre anime les débats dans les cercles spécialisés.
La question des enregistrements historiques
Miguel Serdoura adopte une manière radicale : il évite d’écouter les enregistrements existants. Pour lui, chaque interprétation doit naître d’une analyse directe des tablatures.
Les défis techniques actuels incluent :
- Choix des cordes : boyau naturel pour l’authenticité, nylon pour la durabilité.
- Tempéraments inégaux testés sur des instruments d’époque.
- Réverbération électronique utilisée avec parcimonie en studio.
L’approche « authentique » vs créative
Deux écoles s’affrontent. La première prône une fidélité absolue à la période baroque. La seconde intègre des éléments contemporains, comme le projet Jupiter de Thomas Dunford.
| Critère | Approche authentique | Approche créative |
|---|---|---|
| Sources | Traités historiques | Inspirations multiples |
| Matériaux | Bois et cordes d’époque | Expérimentations modernes |
| Collaborations | Ensembles spécialisés | Danseurs, jazzistes |
Certains artistes, comme Dunford, fusionnent ces manières. Leur travail prouve que la musique ancienne reste un terrain d’exploration infini.
Miguel Serdoura et la transmission du savoir
Passionné par la pédagogie, ce luthiste a révolutionné l’enseignement des instruments anciens. Son travail combine rigueur historique et innovations modernes, offrant une approche accessible aux musiciens d’aujourd’hui.
Une approche pédagogique novatrice
Sa méthode de 360 pages, traduite en cinq langues, intègre des techniques inédites. La respiration yogique y joue un rôle clé pour maîtriser le phrasé musical.
Trois piliers structurent son approche :
- Exercices techniques progressifs inspirés des traités du XVIIe siècle
- Analyse détaillée des pièces de Charles Mouton
- Supports vidéo pour décortiquer les ornements complexes
Impact sur les nouvelles générations
Depuis dix années, ses ateliers au Festival de musique ancienne du Marais forment des centaines d’élèves. Son partenariat avec le CNSMD de Lyon a permis de créer un diplôme spécialisé.
| Initiative | Résultats |
|---|---|
| Masterclasses annuelles | 120 participants formés depuis 2015 |
| Collaboration avec le CNSMD | 15 diplômés par an |
| Chaîne YouTube pédagogique | 50 000 abonnés |
Ce luthiste a su adapter son art aux défis contemporains. Grâce à lui, la musique ancienne trouve un écho chez les jeunes interprètes.
Thomas Dunford : réinventer la tradition
Un souffle nouveau anime la pratique des instruments anciens grâce à des artistes audacieux. Thomas Dunford, virtuose de l’archiluth, incarne cette renaissance. Son approche mêle respect des sources et audace contemporaine.
Son parcours multiforme avec l’archiluth
Formé à la guitare classique, Dunford a transposé son savoir-faire vers les cordes historiques. Ses Variations Goldberg au luth ont marqué les esprits par leur fluidité. Il explore les nuances entre théorbe et archiluth avec une précision rare.
Ses collaborations incluent :
- Duos avec Cecilia Bartoli pour des projets Monteverdi
- Expérimentation de micros contact pour une amplification naturelle
- Résidences à la Fondation Louis Vuitton
Le projet Jupiter et les collaborations
Son ensemble Jupiter fusionne répertoire baroque et créations actuelles. Leur dernier album revisite Vivaldi avec des arrangements pour petite formation. Dunford explique :
« Chaque époque réinterprète les chefs-d’œuvre à sa manière. »
Trois innovations clés :
- Adaptation des concertos pour luth en trio
- Utilisation du théorbe dans des contextes inédits
- Dialogue entre musiciens de traditions différentes
Cette vision ouverte prouve que la musique ancienne vit avec son temps. Les festivals européens saluent régulièrement son travail.
Où entendre le luth baroque aujourd’hui ?
La musique ancienne trouve aujourd’hui des espaces de diffusion inattendus. Des salles de concert aux plateformes numériques, les occasions d’apprécier ces pièces historiques se multiplient.
Festivals et ensembles spécialisés
Un nombre croissant d’événements mettent à l’honneur les instruments historiques. Le Festival de musique ancienne du Marais, créé en 2010, programme chaque année des ensembles renommés.
Parmi les rendez-vous incontournables :
- Le Festival de Sablé-sur-Sarthe et ses concerts intimistes
- Les Nuits musicales du Château de Versailles
- La Biennale de musique ancienne à Vanves
Ces festivals offrent souvent des rencontres avec les interprètes. Une occasion unique de découvrir les subtilités de jeu.
Ressources en ligne pour les amateurs
Plusieurs plateformes donnent accès à ce patrimoine musical. La Bibliothèque nationale de France propose des ressources numérisées, dont des tablatures originales.
Autres pistes à explorer :
- La chaîne YouTube de l’Institut de musique ancienne de Bruxelles
- Les cours en ligne de la Schola Cantorum Basiliensis
- L’exposition virtuelle du Musée de la musique (Paris)
Ces outils permettent d’aborder cet univers à son rythme. Une porte d’entrée idéale pour les curieux.
Conclusion : Le luth baroque, un instrument d’avenir
Les technologies modernes redessinent son avenir. L’impression 3D permet désormais de recréer des chevalets historiques avec une précision inédite. Des compositeurs comme Kaija Saariaho intègrent le luth dans leurs œuvres contemporaines.
Cet instrument trouve sa place dans les conservatoires grâce à des méthodes innovantes. Les fusions avec d’autres styles de musique ouvrent des possibilités créatives insoupçonnées. Des projets numériques recréent virtuellement des pièces muséales.
Le luth baroque prouve que la tradition peut épouser l’innovation. Son art subtil continue d’inspirer les créateurs du XXIe siècle. Une nouvelle page de son histoire s’écrit aujourd’hui.

